Sommaire

QUI SONT LES EXCLU·ES DU NUMÉRIQUE ? 
Zoé Georgoutsos 

FACE À LA NUMÉRISATION DE LA SOCIÉTÉ : 
COMPRENDRE ET RÉSISTER 

Interview de Périne Brotcorne 

GARDER LE CONTACT AVEC LES PUBLICS EN PÉRIODE 
COVID : TOUR DES STRATÉGIES ASSOCIATIVES 

Zoé Georgoutsos 

FACE À LA DIGITALISATION DES SERVICES, LES GUICHETS
DOIVENT RESTER OUVERTS. REVENONS À L’HUMAIN ! 

Lettre ouverte des secteurs de l’aide sociale, de la santé et associatif 

ARC, AGIR CONTRE LES INÉGALITÉS NUMÉRIQUES 
Adrien Godefroid 

REPRENDRE CONFIANCE EN SOI 
Échange avec Houria et William 

LES MORDU·ES PAPOTENT « NUMÉRISATION DE LA SOCIÉTÉ » 
Échange avec Jeannine, Josée, Josiane et Robert 

« LA DIGITALISATION ET LA NUMÉRISATION ONT UN 
IMPACT FRUSTRANT SUR MON QUOTIDIEN » 

Maryse Quibaille 

LES ENFANTS DE L’UPA S’EN MÊLENT : « MOI DANS LE MONDE NUMÉRIQUE » 
Céline Teret 

Edito


 

COMPOSER AVEC LE NUMÉRIQUE, 
TOUTE UNE PARTITION

Céline Teret
Coordinatrice du pôle production & conservation des savoirs à l’UPA

« Qui ne s’est jamais retrouvé face à une nouvelle interface, un peu désarmé, un peu largué, en ayant le sentiment de ne pas être à jour face aux évolutions permanentes des technologies ? » Gageons que cette question, posée par la sociologue Périne Brotcorne dans son interview (Face à la numérisation de la société : comprendre et résister, p.7), résonne en chacun et chacune d’entre nous. Une façon de dire que la fracture numérique touche, au final, bien plus de monde que ce qu’on pourrait croire, à des degrés différents, évidemment (Qui sont les exclu·es du numérique ?, p.5). Pour certain·es, cela se traduit par un petit tracas dans la journée, une envie soudaine de jeter son ordinateur par la fenêtre, qui sera bien vite réglée grâce à l’intervention salvatrice d’un·e proche « qui s’y connaît ». Mais pour d’autres, ces difficultés d’accès au numérique, tant au matériel informatique qu’à son utilisation, peuvent conduire à des situations d’exclusion sociale, impactant le quotidien, l’accès aux droits et la participation aux différents pans de la société… Lutter contre cette forme moderne d’exclusion est donc essentiel. 

L’Université Populaire d’Anderlecht puise précisément ses origines dans cette lutte contre les inégalités numériques. L’ancêtre de l’UPA se prénommait Teknoweb. Implanté il y a une dizaine d’année dans les bâtiments d’Euclides, au coeur du quartier anderlechtois de la Rosée, le projet Teknoweb était une structure pédagogique à vocation sociale créée pour lutter contre la fracture numérique. Il visait à assurer l’accès, l’apprentissage et la maîtrise des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) aux personnes les plus vulnérables d’un point de vue culturel, social et économique.

C’est d’ailleurs autour de ces cours de TIC que se sont rencontrées la plupart des personnes qui constituent aujourd’hui encore le groupe des « Mordu·es » de l’UPA. Depuis, le projet a évolué, d’autres activités sont venues s’y greffer pour constituer l’actuel visage de l’UPA. Néanmoins, la formation aux outils numériques est restée ancrée dans les activités de l’association, les formules variant selon les profils des membres de l’équipe et les moyens financiers disponibles. 

Aujourd’hui, les cours d’informatique proposés à l’UPA ont pris la forme de « coups de pouce » à l’utilisation du smartphone et de l’ordinateur. Pour ne pas laisser les apprenant·es en marge des avancées technologiques, les bénévoles qui les accompagnent tentent de répondre aux besoins exprimés lors des séances (Reprendre confiance en soi p.28). Ces besoins relèvent de la vie quotidienne : envoyer un email, effectuer un virement, consulter les horaires du bus, prendre un rendez-vous médical, chercher un itinéraire… Ces besoins ont une incidence sur l’accès à certains droits : se soigner, se loger, se déplacer… Ces besoins sont de plus en plus criants… Car la récente crise sanitaire liée au Covid a accéléré le recours à tout-va aux outils numériques, creusant encore les inégalités. 

Mauvaise herbe

Cette fracture numérique exacerbée est palpable à l’UPA, tant dans les cours d’informatique, que dans des espaces plus informels (lorsqu’un enfant du soutien scolaire ou un bénévole demande à emprunter un ordinateur faute d’en disposer un chez lui, par exemple). Ce constat, nous l’avons d’ailleurs chiffré lors du premier confinement, en avril-mai 2020 : près de la moitié des familles contactées ne disposait pas d’ordinateur à domicile et près d’une famille sur 5 n’avait pas accès à internet. Il suffit aussi de tendre l’oreille lorsque les Mordu·es racontent leur rapport au numérique : tous les membres du groupe possèdent au moins un smartphone et un ordinateur ; par contre, comprendre et utiliser ces outils ou certains services en ligne relève du véritable casse-tête (Les Mordu·es papotent « numérisation de la société », p.30). Et ces blocages s’accompagnent bien souvent d’un sentiment de culpabilité : « Je suis née en 1949. Je ne suis donc pas de la génération internet et c’est un peu de ma faute si je reste en retrait de cela », partage Maryse, une des Mordu·es (« La digitalisation et la numérisation ont un impact frustrant sur mon quotidien », p.33). Que Maryse se rassure : l’exclusion numérique ne peut s’expliquer par la seule responsabilité individuelle. Les nouvelles technologies se sont imposées à nous, sans véritable débat démocratique et sans trop se soucier de savoir si l’ensemble des citoyen·nes était suffisamment armé pour suivre cette accélération technologique. « Rares sont les discours et initiatives qui insistent sur la responsabilité collective de ceux qui numérisent et de ceux qui imposent ces normes », souligne en substance la sociologue Périne Brotcorne. 

Dans ce dossier, il est également question de contacts humains qui, petit à petit, s’amenuisent avec la mainmise digitale. Pour les apprenant·es du cours de FLE (Français Langue Etrangère) de l’UPA - et d’autres associations1, la disparition progressive des services hors ligne vient s’ajouter aux difficultés liées à l’accès à la langue. « Depuis Covid, tout passe par internet, partage une apprenante, lors du cours d’informatique. Pour aller à l’hôpital, à la commune, à la mutuelle, il faut prendre des rendez-vous par téléphone ou internet. On ne peut plus aller sur place pour rencontrer les gens ou prendre un rendez-vous. » 

Ce glissement du face-à-face vers le face à l’écran, nombreux sont les acteurs de terrain à le dénoncer (Face à la digitalisation des services les guichets doivent rester ouverts. Revenons à l’humain !, p.19). 

Lors des confinements et dé-confinements, l’UPA a dû s’adapter et user de stratégies pour maintenir le lien avec ses publics (Garder le contact avec les publics en période Covid : tour des stratégies associatives, p.13). Et garder le contact passe, entre autres, par le recours aux outils numériques. Parce que nous composons aussi « avec » ces outils, l’idée n’est pas de tirer à boulets rouges sur la numérisation de la société, mais bien de dénoncer l’exclusion sociale qu’elle génère et de veiller à ne pas la reproduire au travers de nos pratiques. Parfois, c’est inconfortable, ça questionne : comment répondre aux besoins urgents de première ligne, tout en restant critique et sans participer à l’accélération d’une numérisation excluante ? D’autres associations d’éducation permanente, agissant au quotidien pour lutter contre la fracture numérique, sont elles aussi tiraillées par cette ambivalence (ARC, agir contre les inégalités numériques, p.23). La Mauvaise Herbe leur a donné la parole pour en tirer des enseignements qui viendront nourrir nos réflexions et notre travail de terrain. 

Ce dossier souhaite se faire l’écho de ce qui se vit et se partage à l’UPA, en cette période d’accélération du tout au numérique. Ici se déposent et se conservent les constats et réflexions, les témoignages et expériences, glanés ça et là, dans et en dehors de notre association. Au fil des pages, vous découvrirez aussi les réalisations graphiques des enfants du soutien scolaire (Les enfants de l’UPA s’en mêlent : « Moi dans le monde numérique », p.34). Leur regard vient élargir le propos, telles des mises en scène du monde numérique vu à travers les yeux de celles et ceux qui sont né·es « dedans » et qui, pourtant, sont loin d’en connaître tous les recoins. Comme la plupart d’entre nous. 

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